L’authenticité de L’Autochtone
Gerry Brandon est de retour chez lui. Il ne s’y attendait pas. Dans les années 1970, il a fait une fugue et s’est retrouvé à vivre dans la rue à Toronto. Mais le voici à Haileybury, en Ontario, à 59 ans : chef propriétaire du célèbre restaurant L’Autochtone Taverne Americaine et chef d’un mouvement alimentaire autochtone en pleine croissance.
«J’ai grandi près de là où nous sommes maintenant, mais je n’y suis revenu que 2 fois en 40 ans, déclare Gerry. C’est ma façon de faire une sorte de réconciliation, peut-être.»
Né de parents autochtones en 1961 à Toronto, Gerry, enfant de la rafle des années 1960, fut adopté par une famille caucasienne dans cette petite ville au nord d’Ottawa. «J’étais le seul Autochtone dans la classe, dit-il. Mes parents adoptifs étaient des gens bien. Je n’étais tout simplement pas à ma place.» À 16 ans, il fait une fugue et tombe dans le gouffre de l’héroïne.
Son histoire aurait pu s’arrêter là. Mais Gerry était à la fois déterminé et chanceux. Il s’est pris en main, il est allé à l’école de commerce et, dans les années 1980, il est devenu planificateur d’entreprise pour une manufacture. En parcourant le monde, il est tombé amoureux de la nourriture. Déçu par les affaires pendant la récession CUISINE de 1990, il s’est inscrit à la Stratford Chefs School. Par la suite, il a rapidement décroché des emplois dans des restaurants haut de gamme en Ontario et à Vancouver. Il était chef de cuisine à Umberto’s Al Porto lorsqu’il rencontra son épouse Nancy, alors responsable de l’accueil.
«Je devenais ce chef au style Michelin, hyperconcentré sur la technique française et les ingrédients précontacts, explique-t-il. Chaque assiette devait être parfaite et je me rendais fou à faire tout ça.»
Il a commencé à utiliser son expérience en affaires pour aider d’autres restaurants. Mais son origine autochtone était une autre histoire. «Il ne fallait pas que les gens sachent qu’on était des Autochtones, dit-il. Se couper les cheveux et se faire discret étaient alors les moyens d’y faire face.»
Ce n’est qu’à partir de la quarantaine qu’il a commencé à célébrer son patrimoine anishinaabe, puis à enseigner les arts culinaires et à conseiller les jeunes des communautés. « Quand vous êtes Autochtone, vous vivez une vie traumatisante, dit-il. Je croyais que j’avais une réserve inépuisable d’empathie, mais ensuite j’ai réalisé que ce n’est pas sans fin.»
Au moment où Gerry était prêt à quitter Vancouver et à réaliser «le rêve de chaque chef — avoir son propre bistro», son frère adoptif l’invita à visiter Haileybury, maintenant fusionné à la ville de Temiskaming Shores, une ville avide du genre de restaurant localivore qu’il voulait créer.
Avec Nancy, il a acheté un bâtiment vieux de 100 ans, l’a légèrement rénové et au début de 2019, ils ont ouvert L’Autochtone Taverne Americaine. C’était un succès. «Les gens qui viennent ici disent que c’est comme sortir de Haileybury et entrer dans n’importe quel restaurant de Brooklyn», dit Gerry.
L’Autochtone reflète les cultures anglophone, francophone et autochtone qui se croisent ici et propose un menu avec des plats comme le risotto de riz sauvage au lièvre ou la poutine au canard braisé.
«Je veux représenter la culture autochtone comme une chose vivante et florissante, dit Gerry. Les gens qui viennent ici vont découvrir la culture autochtone telle qu’elle est aujourd’hui, mais je veux rendre les choses accessibles.»
À l’avenir, Gerry prévoit d’ouvrir une épicerie fine, de démarrer une cuisine éducative, de lancer un camionrestaurant puis d’incorporer les activités et de confier le tout au personnel. «Et, fidèle à la manière autochtone, les jeunes pourront prendre la relève», dit-il. Il a fallu un demi-siècle mais Gerry est vraiment chez lui, peut-être pour la première fois.
«Je voulais juste partir à l’époque, dit-il. Maintenant, je suis revenu et je reconnais la beauté de la région. La boucle est bouclée.»