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C’est au Terroir Symposium à Toronto cette année que j’ai rencontré pour la première fois Shane Chartrand, chef de cuisine au River Cree Resort and Casino. Il portait son uniforme blanc traditionnel avec au dos un motif unique de plume des Salish du littoral. J’écoutais alors qu’il s’adressait à un public subjugué dans une salle de conférence bondée, racontant sa vie et son parcours, et parlant de l’importance de la chasse et de la pêche et du respect qu’il accorde à ses racines autochtones soit des origines métisses et cries d’Énoch, en Alberta.

J’ai récemment interviewé Shane pour un article que j’ai écrit sur l’essor de la cuisine des Premières Nations au Canada et j’étais ravie d’apprendre en lisant dans les nouvelles qu’il avait remporté la manche d’Edmonton au prestigieux Gold Medal Plates Canadian Culinary Championships. C’est un véritable accomplissement. Le chef Chartrand a rafflé l’or par la plus grande marge de victoire de l’histoire de l’événement. Il est également le premier chef autochtone à triompher dans ce concours. Je lui ai donné un coup de fil pour le féliciter et lui demander ce que c’est d’être médaillé d’or…

Comment vous vous êtes préparé?

C’était ma septième participation à ce concours. J’ai déjà gagné deux médailles de bronze et une médaille d’argent mais c’est la première fois que je remporte l’or. Pour moi, il ne s’agit pas d’être meilleur mais différent; je ne dirais jamais que je suis meilleur que n’importe qui d’autre, j’essaie juste de faire de mon mieux.

Il m’a fallu à peu près deux mois pour décider ce que j’allais cuisiner, puis j’ai pratiqué environ 15 fois et organisé deux soirées de 8 pour essayer d’être aussi rapide que possible. On doit préparer sept assiettes pour les juges en dix minutes avec notre équipe de dix et faire et servir 750 portions en deux heures. C’est de la folie!

Comment le choix du plat s’est fait?

J’ai décidé de changer de fusil d’épaule et de préparer un plat froid cette fois-ci; les autres années j’ai fait des plats chauds. Un plat froid comporte son propre lot de défis – c’est plus difficile de le rendre plus goûteux, mais je me suis dit que si je fais un plat froid et que je le rends extraordinaire, cela m’emmènerait plus loin.

La préparation pour ces événements est phénoménale. Pendant quatre jours avant, nous avons mis huit heures par jour à tout préparer. Nous voulions que les invités aient des assiettes qui ressemblent le plus possible à celles des juges. Nous sommes autorisés à travailler avec une équipe de 10 personnes : deux aboyeurs pour faire passer les assiettes, sept personnes derrières la station pour réaliser les sauces, faire les préparations et dresser les assiettes, et une personne pour les essuyer. Quant à moi, je travaille sur une table séparée pour les juges et je ne fais rien d’autre que de me concentrer sur leurs assiettes.

Et qu’avez-vous cuisiné ?

L’année dernière, mon plat était composé d’ingrédients autochtones à 100 %. Cette année-ci, j’ai presque fait le contraire bien que j’ai utilisé du gibier sauvage –  poitrines de faisan enrichies de graisse du cou de porc. C’est pourquoi j’ai choisi un Pinot Noir de Tantalus en Colombie-Britannique pour l’accompagner. J’ai essayé de choisir des ingrédients canadiens : des poires de la Colombie-Britannique, une sauce aux prunes que j’ai préparée avec des prunes de l’Okanagan, du foie gras du Québec – d’habitude je ne touche pas au foie gras, mais ça faisait longtemps que je n’ai pas travaillé avec. Alors, cette année-ci, j’ai décidé de l’inclure au menu. Le plat s’inspire de mon imagination, pas forcément les ingrédients. Je voulais réaliser quelque chose de si visuellement impressionnant qu’on aurait pensé qu’il appartenait à un livre d’art.

Quelle est la plus grosse difficulté à surmonter lors de la soirée du concours?

Ce qui est le plus difficile, à vrai dire, ce n’est pas le travail mais l’attente des résultats. Ça prend deux heures et tout ce qu’on pense est : est-ce que j’étais bon? Ai-je fait assez? Peut-être que le plat ne correspond pas à leurs attentes? Mais cette année-ci, j’ai travaillé si dur pour ce concours que peu importe le résultat j’étais prêt psychologiquement. Je savais que j’ai donné le meilleur de moi-même. Selon moi, le plat était magnifique.

Quel genre d’éléments autochtones aimez-vous apporter à votre cuisine?

J’aime utiliser les baies de salal de la côte ouest et différentes mousses. J’ai cueilli de la cladonie arbuscule ici à Edmonton l’autre jour et on jongle avec cela en ce moment. Il y a également la massette. J’adore travailler avec des choses comme ça.

Selon vous, quel impact votre succès a-t-il sur votre communauté?

Je reçois beaucoup d’attention en ce moment. Cette année, j’ai eu beaucoup de succès professionnel – j’ai été invité à Toronto pour parler au Terroir Symposium, j’ai fait une présentation pour REDx talks, on m’a invité à l’événement Chef Meets Grape à Okanagan. Je n’ai eu que des réactions formidables même de la part de chefs que je ne connais pas. Récemment, j’ai rencontré un chef de l’Inde qui m’a dit qu’il regardait tout ce que je faisais : cuisiner en plein air, ajouter une touche autochtone à ma cuisine et aider les gens à mieux comprendre notre culture. Je suis le seul Autochtone à gagner au Gold Medal Plates, ce qui représente un autre niveau de succès. Je l’accepte avec autant d’humilité que j’accepte toute autre chose. L’ego met fin à tout ce qui est positif dans le monde culinaire mais cela ne veut pas dire que j’oublie d’où je viens. C’est une chose importante dans la culture autochtone – ne jamais oublier ses racines. Les non-Autochtones commencent vraiment à comprendre ce que nous faisons.

Quelle est la prochaine étape?

Nous irons à Kelowna pour la finale en février. J’ai trois plats et ce sont les meilleurs que j’ai jamais réalisés. Je vais revisiter mon plat « Peinture de guerre », et « mirroir en verre teinté » qui est un plat à base de poisson. Pour ce plat, je coupe le poisson en lanières, je les fais colorer dans du jus de betterave, je les fais sécher, je les enduis de colle de viande, j’en fais une bûche et je les attache. Donc quand on le coupe, ça ressemble à un vitrail. C’est tout marbré. Je vais me pratiquer plusieurs fois à préparer ce plat.

C’était ma dernière participation à ce concours. Mon sentiment était de travailler aussi dur que possible et je l’ai fait. Je suis tellement soulagé; je n’ai plus besoin de refaire ça! Nous avons gagné, battu des records, et…. nous avons remporté l’or – meilleure gorgée de vin pour le Pinot Noir de Tantalus, et meilleur accord également. Ça va prendre du temps pour oublier ce sentiment. C’était incroyable!

Et si vous ne gagnez pas?

Je ne m’en fais pas avec ça. Je vais présenter deux excellents plats autochtones et nous allons travailler dur et intelligemment. Des plats que nous pouvons faire rapidement – nous sommes juste à deux pour la finale et nous devons préparer 450 assiettes! C’est fou. Nous avons l’épreuve de la « boîte noire » et une autre au cours de laquelle nous avons à apprêter un plat qui accompagne une bouteille de vin mystère. Le lendemain c’est le plat de prédilection à nouveau. Onze villes sont en compétition.

Le fait que vous y êtes parvenu en tant que chef autochtone a-t-il suscité beaucoup de réactions?

Personne n’en parle beaucoup, sauf au River Cree Resort où je travaille : ils sont fous de joie! La Miss Univers, Ashley Callingbull est de la nation crie aussi, elle est vraiment sympa! C’est génial de pouvoir être quelqu’un qui offre aux enfants l’occasion de voir qu’ils peuvent tout faire. Vous pouvez réaliser vos rêves. Je sais que c’est tellement cliché, mais c’est vrai.

Et si les gens veulent vous voir dans votre restaurant à Edmonton?

Si les gens viennent et veulent explorer un peu plus, je vais réaliser un menu de dégustation autochtone. J’utilise beaucoup de bison qui est issu du terroir de ma région : donc langue, ventre, bosse, tout du bison! Il y a aussi une variété de gibier sauvage : lapin, pigeonneau, etc. J’ai souvent des aliments de la chasse que je ne peux pas facturer mais je peux les donner! Ainsi, vous aurez en cadeau de la viande d’antilope aux deux cornes, de mouflon d’Amérique, de phoque. C’est une belle expérience pour les gens!

Le chef Shane Chartrand tourne actuellement un documentaire sur les communautés autochtones à travers l’Amérique du Nord et parle régulièrement sur la cuisine et les communautés autochtones du Canada. Il a également agit à titre d’animateur et de programmateur pour la série de conférences autochtones REDx Talks.

 

Nikki Bayley

Nikki Bayley

Mme Nikki Bayley est une rédactrice primée pour ses articles sur le tourisme à l’international ainsi qu’une journaliste qui couvre la gastronomie et les vins. Originaire du Royaume-Uni, Mme Bayley est tombée amoureuse du Canada après une visite au Terre-Neuve-et-Labrador en 2008. Elle a par la suite déménagé à Vancouver en 2012. Depuis, elle sillonne le Canada pour en apprendre plus sur le pays et ses peuples, et partager leurs histoires à travers le monde.